Dans l'itinéraire que nous avons suivi, il apparaît finalement que la recherche du bonheur consiste bien en un travail sur soi, dont le sage se fait un devoir.
Cependant, est-il si raisonnable que cela de rechercher le bonheur uniquement dans le repli d'un travail sur soi ?
Extrait 1 :
Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs [plutôt] que l’ordre du monde, et généralement de m’accoutumer à croire qu’il n’y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu’après que nous avons fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible. Et ceci seul me semblait être suffisant pour m’empêcher de rien désirer à l’avenir que je n’acquisse, et ainsi pour me rendre content ; car notre volonté ne se portant naturellement à désirer que les choses que notre entendement lui représente en quelque façon comme possibles, il est certain que si nous considérons tous les biens qui sont hors de nous comme également éloignés de notre pouvoir, nous n’aurons pas plus de regret de manquer de ceux qui semblent être dus à notre naissance, lorsque nous en serons privés sans notre faute, que nous avons de ne posséder pas les royaumes de la Chine ou de Mexique ; et que faisant, comme on dit, de nécessité vertu, nous ne désirerons pas davantage d’être sains étant malades, ou d’être libres étant en prison, que nous faisons maintenant d’avoir des corps d’une matière aussi peu corruptible que les diamants, ou des ailes pour voler comme les oiseaux. Mais j’avoue qu’il est besoin d’un long exercice, et d’une méditation souvent réitérée, pour s’accoutumer à regarder de ce biais toutes les choses ; et je crois que c’est principalement en ceci que consistait le secret de ces philosophes qui ont pu autrefois se soustraire de l’empire de la fortune, et, malgré les douleurs et la pauvreté, disputer de la félicité avec leurs dieux.
René DESCARTES, Discours de la méthode, Levrault, 1824, modifié.
Questions :
1. Lorsqu'il établit une morale par provision, dans son Discours de la méthode, Descartes adopte pour troisième maxime celle qui consiste à "changer mes désirs [plutôt] que l’ordre du monde".
a) Quelle argumentation produit-il en faveur de cette maxime ?
b) Qu'est-ce qu'une maxime ?
c) Que reconnaissez-vous, dans l'argumentation, que nous avons déjà rencontré chez d'autres auteurs ?
Or, envisageant la science quant à ses applications pratiques, Descartes écrit :
Extrait 2 :
Mais, sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j’ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s’est servi jusques à présent, j’ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu’il est en nous le bien général de tous les hommes. Car elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu’au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ;car même l’esprit dépend si fort du tempérament, et de la disposition des organes du corps que, s’il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu’ils n’ont été jusques ici, je crois que c’est dans la médecine qu’on doit le chercher.
René DESCARTES, Discours de la méthode, sixième Partie, GF-Flammarion, 2000, p. 98-99.
Questions :
1. Si la morale constitue bien un exercice sur soi, par lequel se rendre maître de soi-même, la question du bonheur de l'homme se limite-t-elle à cette seule dimension ?
2. En vous guidant du surlignage, expliquez quelle autre dimension du bonheur humain est ici relevée par Descartes.
Réflexion :
Dans tout ce qu'il entreprend, l'homme entend-il travailler à son propre bonheur ?
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